C’est un don précieux que la République offre à un peuple, quand elle le rassemble, silencieusement, durant une fraction d’instant. Face à la douleur inexprimable, le silence assigne des limites : il interdit le bavardage inutile, le manque de retenue d’une émotion facile. Ce sacre du temps rend à la mémoire sa force de renouvellement, sa capacité à puiser dans le passé l’énergie qu’il faut pour féconder un avenir meilleur.
Cette minute tissée de respect et de recueillement emprunte aussi à la musique ses pauses, ses silences, ses contrastes. C’est après le fracas des armes, après la tempête, le calme qui honore les morts et apaise les vivants, l’invisible et fragile valse à mille temps d’une fraternité retrouvée, ciment de l’âme d’un peuple unifié au-delà de sa diversité.
La signification de cette indispensable et sobre minute n’est pas spontanément comprise. Elle demande le temps long de l’histoire pour être transmise, la persévérance patiente qui favorise l’épanouissement d’un enfant, l’accompagnement vigilant d’une société toute entière pour le conduire sainement à l’estime de soi et l’estime d’autrui qui le préserveront de vouloir se détruire et d’être fasciné par le meurtre.
C’est pourquoi le silence ne peut plus être le privilège de qui s’adonne à la recherche ou à la méditation. S’offrant si intensément à tous pendant une minute, ce silence-là contient une richesse qu’il est juste de redistribuer : il peut, en effet, s’apprendre et s’expérimenter comme un bienfait, pour le corps et l’esprit, aussi naturel que l’air et l’eau, qui nous sont nécessaires pour vivre et survivre.
C’est pourquoi un lieu de silence n’est pas superflu, il indique tout simplement qu’on peut parler moins haut, qu’être tranquille ne signifie pas qu’on n’existe plus, que la réflexion a besoin de sérénité, qu’un devoir est mieux réalisé hors d’un casque-audio, que les oreilles s’en portent mieux pour entendre et pour écouter, pour s’entendre et s’écouter à plusieurs.
La minute de silence sera alors vraiment perçue comme elle doit l’être : non comme un symbole éphémère dont on peut se moquer, mais comme le signe d’une civilisation durablement respectable, parce que soucieuse de partager ses valeurs les plus profondes.