Les artistes sont aussi des chercheurs : à leur façon, et indépendamment des écoles auxquelles ils appartiennent, ils sont en quête d’une manière de toucher l’esprit et les sens; ils le font au moyen d’une expression qui rendra tangible ce qui répugne le plus profondément ou ce qui attire le plus universellement notre humanité.
Lorsque Picasso, quelques semaines après la destruction de la ville de Guernica, exposera la toile qui porte son nom, il dira, morcelant les chairs, tordant les visages, ce que les mots sont impuissants à décrire : l’horreur de la guerre, le néant qui en résulte, l’extermination de la vie.
Face à cette tragédie, la paix n’est plus une option parmi tant d’autres, elle devient le climat indispensable du retour à la vie et, avec elle, de la re-création de la beauté dont la messagère est la colombe porteuse du rameau vert de l’olivier.
De même, Saint-Exupéry, nous donnant à voir son petit prince, rend présente l’enfance, comme un rempart contre la folie des « grandes personnes » : leur indifférence au malheur, la vanité de leurs ambitions, leur insensibilité à la nature, leur incompréhension de la beauté, leur cécité devant l’amour et l’amitié.
Ces fins connaisseurs de l’âme humaine transforment les mentalités, aident à établir les « correspondances » si chères à Baudelaire. Ils nous font regarder de plus près, comme le faisait Verlaine depuis la prison où il était enfermé, par-dessus le toit, par-dessus nos actuels plafonds de verre, le « ciel si bleu, si calme » que nous avons tant de mal à ne pas encrasser, que ce soit à Pékin ou à Paris… Ils font vibrer, en les éveillant, en les réveillant, les cordes de notre sensibilité, ils nous font rechercher et quelquefois découvrir ce que le corps sait sans pouvoir le transmettre, ou sans oser l’exprimer, comme en témoigne Kandinsky :
« Le rouge vermillon attire et irrite le regard comme la flamme que l’homme contemple irrésistiblement.
Le jaune citron vif après un certain temps blesse l’œil comme le son aigu d’une trompette déchire les oreilles.
L’œil clignote, ne peut le supporter et va se plonger dans les calmes profondeurs du bleu ou du vert. »
L’artiste enseigne par là qu’il existe un désir d’harmonie plus fort que la fascination exercée par la pulsion de mort. Si la beauté peut sauver le monde, elle ne pourra le faire qu’en respectant l’œil et l’oreille, le regard et l’écoute, la vision et l’entente. C’est une œuvre urgente contre la barbarie qui détruit simultanément – ce n’est pas un hasard – les personnes et les œuvres d’art.
L’art et la paix ont décidément partie liée : ne les dissocions pas – et surtout pas dans le cœur des enfants. Respectons en eux ce « sanctuaire » capable de faire barrage à l’envie de profaner le séculaire labeur de la civilisation; le même sanctuaire sans doute qui a permis à Beethoven de surmonter sa surdité et de composer « l’hymne à la joie ».
Puisse l’Europe s’en souvenir et renoncer à ses barbelés en se remémorant la présence au pied du mur de Berlin, lors de sa chute, de Rostropovitch et de son violoncelle.