Un état d’urgence peut justifier une action rapide et la plus efficace possible pour empêcher le pire d’arriver une nouvelle fois. Le terrorisme nous place dans cette situation, puisqu’il provoque un état de guerre et qu’il nous faut réagir par des mesures sécuritaires : le réalisme l’impose.
Mais le même réalisme oblige à envisager à plus long terme les moyens d’enrayer le processus qui mène à l’action terroriste. Or ce processus est mortifère, pas seulement parce qu’il conduit au meurtre mais parce qu’il sape dans le cœur humain ce qui aspire à la vie et lui confère un sens.
Encore faut-il vouloir constater que ce qui donne un sens n’est ni superficiel, ni immédiat, et que répondre aux aspirations les plus profondes de l’être humain demande d’être attentif à la réalité de ses désirs les plus authentiques mais aussi les plus inexprimés.
Il faut ici parler de la surconsommation et de la destruction lente qu’elle opère : elle masque en effet les désirs, en fabriquant la fausse urgence de l’hédonisme, la fausse nécessité, de faux besoins de confort et d’apparence, sur un fond continu d’imaginaire prétendument capable de rajeunir et de rendre immortel. C’est habilement que le souci d’esthétique supplante le souci de l’éthique. C’est tragiquement que sont étouffés le désir d’être soi-même et le désir de s’ouvrir à l’autre.
Cette double fermeture, à soi et à l’autre, favorise la progression du fanatisme puisque l’ennui et la frustration, qui sont les plaies béantes des « sociétés d’abondance », trouvent leur compensation dans une exaltation, elle aussi superficielle et immédiate. Le moi-profond est d’autant plus effacé que la relation à l’autre est inexistante. Ce n’est nullement un hasard si l’expression ultime du fanatisme provoque dans le même temps le suicide et le meurtre.
Nos sociétés, qui occultent la mort, se trouvent confrontées à celle qui est brandie par le terrorisme. Cette forme extrême de nihilisme nous pousse dans nos retranchements politiques ou religieux, métaphysiques, sociaux et moraux, et nous contraint à réfléchir au vide, au néant.
La tentation est grande de baisser les bras et de sauver sa peau et celle de ses enfants.
C’est justement ce que souhaite pernicieusement notre société consommatrice, pour qui vendre son âme n’est pas si grave du moment qu’elle accumule toujours plus d’argent, y compris l’argent sale qui tue la jeunesse.
Face au « dernier cri » des modes, il nous faut entendre le cri éternellement semblable des mères et des pères qui ont perdu leurs enfants et revendiquent qu’ils ne soient pas morts pour rien.
La société a donc le devoir de proposer un modèle crédible de relations humaines,
- qui éveillent à la créativité,
- qui éduquent au sens critique et à la réflexion,
. pour libérer de l’emprise manipulatrice de la surconsommation
. pour ne pas se laisser séduire par le discours toujours simpliste et faussement évident de l’intolérance et de la haine - qui encouragent et valorisent ce qui soutiendra plus tard le courage de vivre et de laisser vivre.