Au mois de mai, on célèbre le travail, on commémore l’abolition de l’esclavage, on honore la maternité. Rien, sinon les hasards du calendrier, ne permet de rapprocher ces trois fêtes. Pourtant, un fil les relie qui est celui de la douleur : douleur du travail, douleur de l’esclavage, douleur de l’accouchement. Ce lien conduit à s’interroger sur l’histoire de ces douleurs, de leur progressive prise en compte et de leur prise en charge.
Car travailler, c’est d’abord trimer, être dans les fers, risquer sa vie pour faire naître. Nous ne pouvons pas oublier le sang, la sueur et les larmes qui ont marqué les étapes de notre humanité, et la marquent encore, partout où les droits de l’homme ne sont pas parvenus à libérer les femmes et les hommes de la pénibilité de leurs tâches, des travaux forcés, de la mortalité due aux accouchements non accompagnés.
Mais travailler, c’est aussi ouvrir les chemins qui produisent de la vie. Du labour de la terre au labeur de la pensée, il y a cet effort, cette persévérance à nourrir les corps, les esprits et les cœurs, à ne plus exploiter les uns pour servir les autres, à ne plus aliéner les libertés. C’est cet effort multidimensionnel qui a permis de célébrer le travail et de déplorer les effets destructeurs du chômage, de cette oisiveté forcée qui ravage nos sociétés.
Travailler, en effet, c’est tisser des liens, c’est faire reculer la solitude et surtout le sentiment d’être inutile et sans valeur. Sans ces liens, le manque de travail tout comme son excès conduisent à une implosion, un burnout relié à la perte du sens : à quoi bon vivre ?
C’est que travailler, c’est enfanter. Le travail de l’accouchement peut ici servir de paradigme, avec son rythme, sa progressive ouverture pour faciliter le passage du nouveau-né et susciter la joie – indicible des mères quand elles ont la chance de voir apparaître la vie et non la mort.
Cette joie renseigne sur la finalité du travail qui est d’élargir le champ des possibles, dilater les espaces clos de l’entre soi, ouvrir au partage, accueillir la nouveauté sans en avoir peur. Il s’agit là d’un travail sur soi qui contribue aussi à une créativité collective d’où surgissent des découvertes convergentes, des rencontres fécondes d’intelligences multiples issues d’un travail manuel ou d’un travail intellectuel qui apprennent à vivre et à bien vivre, loin de l’autodestruction et du désir de « casser ».
Le travail n’a de sens que s’il emprunte la voie exigeante de la concertation, de la négociation, d’un désarmement culturel qui consiste à ne plus penser en termes de concurrence meurtrière, mais en termes de coopération économique, sociale, en vue du bien commun et d’un partage équitable des richesses et des informations.
Une société qui se veut intelligente de son avenir se doit d’intégrer la non-violence dans ses perspectives, non pour refuser le conflit mais au contraire pour lui donner son sens, en s’efforçant de le dépasser et en apprenant à débattre afin de ne pas se perdre en vains combats. C’est ainsi que l’on devient citoyen et non plus esclave de structures mortifères, productrices de chômage et de tristesse.
Travailler, c’est œuvrer à la réalisation de chacun.