Contraints d’unir nos forces pour lutter contre la pandémie qui bouleverse le monde, nous sommes aussi forcés de nous interroger sur notre avenir.
Un avertissement de Martin Luther King peut nous y aider :
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir comme des idiots. »
Puisqu’il s’ agit d‘apprendre, il nous faut donc réfléchir à un modèle de fraternité qui soit source d’intelligence et de vie. A l’heure des « infox », des « fake news » qui distillent le mensonge, à l’heure de la paranoïa propre au complotisme, il semble judicieux de nous demander, prioritairement, si nous ne contribuons pas à « la fabrique du crétin digital » (*).
La fascination pour les écrans, en effet, est en train de tristement faire émerger, dès la petite enfance, la diminution de la concentration, l’augmentation de l’agitation, l’insensibilité croissante aux images de guerre et de torture ; elle se poursuit avec l’anxiété apparente ou latente des adolescents puis la confusion entre la virtualité et la réalité de trop de jeunes adultes.
A force d’ idéaliser les performances dues à l’intelligence artificielle et à ses exigences de vitesse, nous perdons le sens de la durée, qui permet précisément à notre cerveau de développer notre remarquable capacité d’adaptation. C’est elle aussi qui permet d’éduquer à l’esprit critique, d’entrer progressivement en relation avec autrui, de préférer la profondeur du sentiment à la superficialité de l’émotion. C’est elle encore qui éloigne de l’attachement fusionnel (et toujours mortifère), pour faire apprécier le silence, évaluer la juste distance du respect et avoir le recul nécessaire au maintien de l’amour et de l’amitié.
Or nous devenons dangereusement inadaptés : aux deux extrêmes de la vie, les tout-petits et les personnes âgées sont les victimes de la précipitation et du manque de respect des rythmes particuliers qui sont les leurs .
Au milieu, des adultes rêvent de transhumanisme pour ne pas regarder en face la réalité de la mort et la peur qu’ils en ont.
A ceux là, il faut rappeler les vraies urgences qui consistent à créer d’avantage de cellules d’écoute pour l’enfance en danger et favoriser l’extension des centres de soins palliatifs. Les inviter à se sentir responsable, à répondre à l’appel de leur propre humanité, avec son origine et sa fin, c’est faire œuvre d’intégration, c’est fraterniser .
Car le terme de frère ne désigne pas seulement le membre d’une fratrie, le membre d’une confrérie laïque ou religieuse, le frère d’arme, il désigne celui qui sait quitter son enclos familial, politique, social, religieux… pour se reconnaître intrinsèquement l’égal de tous les êtres humains, pour sentir couler en lui le même sang au point de s’identifier au sans-abri ou au migrant perdu en mer… et décider d’agir, avec le secours de tous, pour que cela cesse.
Il n’y a pas là de lyrisme ni de sentimentalité́, il s’agit de franchir, avec le cœur – avec la raison – un seuil supplémentaire. Il nous faut accepter avec simplicité et réalisme le principe de notre évolution : des peintures rupestres de la préhistoire à l’écriture qui inaugure l’histoire, d’âge en âge, d’ère en ère, nous travaillons à plus de compréhension, plus d’unité. Et loin d’un chaos auquel l’abêtissement, l’individualisme et le manque de sagesse pourraient nous mener, nous marchons peut-être vers l’étape ultime de notre humanité :
– celle de l’avènement d’un esprit fraternel, d’une mentalité susceptible de répondre aux appels d’un monde désormais multiculturel et multi dimensionnel.
– celle d’une fraternité qui appelle à une intelligence collective et au partage des compétences de chacun pour le bien de tous.
– celle d’une fraternité qui nous permettra d’être pleinement intelligents parce que pleinement humains et conscients d’être mortels.
– celle d’une force fraternelle de cohésion, indispensable au juste discernement des besoins essentiels de notre planète.
Souhaitons-nous de vivre en bonne intelligence tout au long de cette année 2021.
Marie Pierre Oudin
(*) Michel Desmurget – La fabrique du crétin digital – (Seuil)
Lectures utiles :
Abdennour Bidar – Plaidoyer pour la fraternité – (Albin Michel)
Véronique Albanel – La fraternité bafouée – (Les éditions de l’Atelier)