Il semble bien paradoxal de souhaiter implanter des maisons, avec leurs toits et leurs murs très concrets, afin de favoriser l’accès à la Paix et, parallèlement, d’insister sur la nécessité de vivre « hors les murs ».
C’est qu’une maison n’abrite vraiment que si elle s’ouvre vers l’extérieur, avec des fenêtres pour l’aérer et des portes pour accueillir.
C’est que nous ne sommes pas faits pour être confinés, et cette période nous le prouve abondamment.
Nous sommes comme destinés, au contraire, à vivre au large, en plein vent, physiquement, intellectuellement, spirituellement. Nous sommes comme poussés à libérer le corps, l’esprit et l’âme de tous les carcans qui bloquent notre personnalité, l’étouffent, l’asphyxient.
Passer de l’enfance à l’âge adulte oblige à emprunter un chemin commun à tous : il s’agit, non sans douleur, de quitter le repli sur soi pour l’ouverture à autrui, le désir de similitude pour celui de la différence, le chauvinisme pour le respect des autres cultures, la xénophobie pour la fraternité.
Toutes les sagesses nous enseignent cette voie, qui est celle de l’élargissement du cœur. Nullement facultative, indépendante du choix de telle ou telle religion, de tel ou tel système philosophique, elle est cette exigence, cet aiguillon, qui guide l’humanité vers plus de tolérance et d’intelligence des relations internationales.
Les ONG l’ont bien compris, qui prennent le soin de se situer « sans frontières » et d’assurer ainsi un partage à l’échelle de la planète, à la mesure d’une humanité commune, à la hauteur d’une fraternité universelle qui puisse conduire à nous relier les uns aux autres, pour répartir le pain, les livres et les vaccins, sans distinction de sexe, de couleur de peau ou de religion.
Leur travail rend caduque une spiritualité
- qui fixerait son regard sur le ciel sans tenir compte de la terre,
- qui imaginerait une divinité sans compassion,
- qui ne verrait pas dans l’agnosticisme un rempart contre la dangereuse crédulité qui ensommeille les esprits et leur fait aimer les sectes,
- qui n’attribuerait une âme qu’aux croyants.
L’outil privilégié de la dictature est l’enfermement.
A chaque fois qu’une démocratie l’utilise sans discernement, elle perd de sa crédibilité et de sa créativité, pour retourner vers le système clos et dogmatique d’une logique strictement punitive, où le sens de l’interdit n’apparaît même plus.
Quel sens peut-on accorder aux conditions de vie indignes dans les prisons ?
Quelles perspectives d’espoir, pour la même raison, dans certains hôpitaux psychiatriques et dans certaines maisons de retraite ?
Comment vouloir vivre, quand la douleur n’est pas accompagnée, par manque de soins palliatifs ?
Comment vivre enfin, autrement que par l’utilisation de la violence virtuelle ou réelle, sans propositions éducatives qui éveillent au goût de la responsabilité individuelle et collective, sans fenêtres vers l’art, la poésie, la rigueur qui forgent l’esprit et l’âme d’un petit enfant ?
Le monde d’après est celui qui nous fera franchir une nouvelle étape vers plus de clarté, loin de l’obscurité de toutes les catégories de cachots qui empêchent d’accéder à sa propre personne, à toutes ses richesses, à toutes ses compétences, à la joie de les partager pour le bien commun.
Et parce que la poésie sait ajuster la profondeur de nos rêves au contour du réel, laissons-lui la parole, avec cette invitation de Paul Fort :
Si tous les gars du monde, si toutes les filles du monde, voulaient bien se donner la main…
Imaginons la suite… Le beau, le bien, le vrai, hors les murs que nous érigeons contre eux, pourraient trouver davantage de place dans notre monde et ce ne serait pas un luxe ! Ni une utopie.
MP Oudin