Quand un pilote, avant tout préoccupé de réparer son avion, exaspéré par l’insistance d’un petit garçon, griffonne à la hâte le dessin d’un abri pour un mouton, au lieu du mouton demandé, il ignore qu’il vient de répondre avec justesse à notre part d’enfance la plus sacrée, celle qui préserve le génie de notre humanité et dont le petit prince a l’intuition : l’art de l’évocation par la suggestion.
Non contraignant, cet art est indispensable à l’essor de l’imagination, base de toute recherche et de toute découverte.
Bien heureusement canalisé par le calcul et la précision, l’imaginaire doit être pourtant délivré du carcan initial d’une intelligence frileuse, trop soucieuse d’efficacité, trop soucieuse d’exactitudes prématurées, trop soucieuse d’avoir raison.
La vérité produite ne peut s’imposer que si elle n’entrave pas le chemin vers d’autres facettes de la vérité. Autrement dit, elle ne peut s’imposer d’une manière absolue ou systématique, sinon elle deviendrait un obstacle pour le progrès de la science ou un danger pour la démocratie.
Tous les ismes, du scientisme au nazisme, du libéralisme au communisme, de l’absolutisme au relativisme, du conservatisme au modernisme etc. nous entraînent vers les positions extrêmes et leurs illusions.
Que deviennent nos aspirations à l’intelligence collective, au bien commun, au vivre-ensemble si ardemment recherché, quand la soi-disant vérité pour tous se présente comme toute puissante, enferme dans une pensée unique et, de ce fait, prône la violence pour parvenir à ses fins ?
Cette vérité‐là, non seulement se nourrit de l’ignorance mais sa voracité va jusqu’à fabriquer des moutons de Panurge sanguinaires.
L’agneau de La Fontaine a beau proclamer son innocence, dire qu’il n’est pas responsable des crimes réels ou supposés de ses ancêtres, il est dévoré par « l’animal cruel » qui sévit dans toute forme de populisme et affirme sans vergogne, comme le loup de la fable : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ».
Ainsi se propage la désinvolture coupable de la confusion et de ses préjugés et, avec elle, la décadence de la pensée et la perte de sa clarté, l’affaiblissement de l’éthique et la perte de son orientation vers le Beau, le Bien, le Vrai de la Fraternité, seul chemin pour garantir la véracité de nos paroles et la fécondité de nos actions.
Nous ne sommes pas faits pour la laideur, la haine et le mensonge, et c’est pourquoi l’œuvre de Saint-Exupéry a su toucher – universellement – les cœurs et les esprits.
Soyons inventifs, sans être des loups pour autrui.
Soyons protecteurs des agneaux et des rêves constructifs de l’enfance.
Nous rendrons à l’Espèce Humaine sa dignité et nous assignerons à son Histoire, malgré les heures sombres, un destin de lumière.
MP Oudin