Dans les écoles, les conservatoires, les centres sportifs, les familles vont collaborer à la préparation des spectacles de fin d’année, pour aider à l’éclosion des jeunes talents… La fête de la musique y contribuera également et c’est bienfaisant pour tous.
Mais quel est réellement le regard porté sur l’enfance par notre société ?
Le commerce et la publicité s’allient pour répondre à ses supposés désirs et créer des envies de confiseries là où il y a surtout des besoins de présence et d’écoute.
La sagesse populaire situe l’âge de raison vers 7/8 ans.
La science décrit une phase pré‐logique jusqu’à 12 ans environ, en fonction du degré de maturation du cerveau.
C’est, de toute façon, durant cette période que tout se joue en profondeur pour forger le destin singulier d’un être humain et le destin collectif de notre humanité.
Infiniment malléable et vulnérable, l’enfant développe, en effet, malgré l’absence de mots et de mobilité initiales, un sens aigu de l’observation, une manière spécifique de gérer ses émotions, un apprentissage intuitif des relations avec son entourage, une adaptation remarquable au plaisir ou à la souffrance. Quand le langage apparaît, l’enfant poursuit ce travail interne avec ce qu’il a appris à pressentir, sentir, ressentir.
Or, cet apprentissage, tout en finesse, est considéré au mieux avec attendrissement, au pire avec condescendance, comme si, à la seule aune de la rationalité et du cérébral, les choses sérieuses ne pouvaient advenir que plus tard.
Dès lors, nous oublions d’admirer ce terreau originel qui favorise l’inventivité, la créativité, l’accès à l’autonomie, le sens du partage, tous indispensables pour faciliter le passage à l’âge logique et assurer la souplesse d’une intelligence globale.
L’enfant-roi, l’enfant-soldat, l’enfant maltraité – psychiquement, physiquement – sont les victimes de cet oubli tragique qui conduit à asservir l’enfance. Un inconscient collectif véhicule cet oubli, relié en partie à la peur qui hante notre société de retomber en enfance, comme si celle-ci était une forme de dépendance quasi pathologique et comparable à celle qui affecte la vieillesse… Il faut d’ailleurs urgemment se demander si cette confusion n’est pas à l’origine de la maltraitance qui meurtrit de manière égale, et avec la même lâcheté, la petite enfance et le grand âge.
Peut-être nous faut-il apprendre à regarder l’enfance, non comme une page qu’il faut tourner pour devenir enfin « grand » et puissant, mais comme une incitation à faire confiance et à quitter les rives de la possessivité : cette redoutable tendance qui autorise à croire qu’on peut être propriétaire d’un être humain et en disposer sous le prétexte qu’il est sans défense, a conduit à tous les excès politiques et religieux, mais aussi à la mise en place de carcans familiaux cruels et despotiques.
Peut-être nous faut-il apprendre à contempler l’enfance : comme on aborde une œuvre d’art, avec un respect si sacré qu’on la protège à tout prix et avant tout de la profanation.
Or, la candeur de l’enfant est notre patrimoine : elle est garante de la beauté qui illumine son regard quand il s’émerveille et se réjouit silencieusement d’être compris.
C’est cette candeur qu’il faut préserver en lui pour l’élever vers l’âge adulte, en évitant de toutes nos forces de la salir, de la trahir, de la violer. C’est encore elle qui entretient le goût de vivre, et que l’on aperçoit, toujours présente, dans le regard de certains vieillards.
Pour cela c’est une éducation bienveillante, indulgente avec l’erreur, soucieuse cependant de ne pas infantiliser et de valoriser l’effort, qu’il faut continuer à proposer comme un modèle de pédagogie, si nous ne voulons pas voir se développer, quand on a seulement 14 ans, l’envie de se détruire et de détruire autrui.
Qu’on ne s’y trompe pas, cette éducation est exigeante et ne mène pas à une tolérance dévoyée. Elle tente de faire barrage à l’envie de meurtre qui secoue notre planète et s’empare d’une jeunesse dont on a pillé l’enfance et horrifié le regard.
Marie-Pierre Oudin